Coup de projo sur le Master d’ingénierie de la Création Multimédia de Com’Sup en partenariat avec l’Université Nice Sophia Antipolis. Ce double diplôme permet d’acquérir des compétences professionnelles théoriques et pratiques dans le multimédia et l’audiovisuel (Webradio et WebTV), pour pratiquer les nouveaux métiers de la communication digitale et concevoir de nouveaux services. L’occasion de s’entretenir avec Azzedine Lazrak, directeur de l’Ecole Supérieure de Communication et de Publicité Com’Sup et Norbert Hillaire, directeur de recherches à Nice Sophia Antipolis sur les enjeux de la communication numérique.
Quels sont aujourd’hui les enjeux de la communication digitale ?
Les mutations sont à la fois techniques, communicationnelles et managériales. Elles agissent comme une véritable déferlante : traitement automatisé du langage, algorithmes appliqués à tout (langage, image, programmes), géolocalisation, big data, cloud computing, intelligence artificielle, robotique… Leur puissance de rupture pour l’humanité est bien plus profonde que l’on veut le croire. Mais surtout, cette mue digitale pose une question centrale : que devient l’homme dans ce processus qui affecte la culture, l’économie, la communication, l’éducation et les territoires ? Car contrairement à ce que l’on dit parfois, il n’y a pas tant une économie numérique qu’une numérisation de l’économie dans son ensemble, et aucun secteur n’y échappe.
Selon une certaine tradition humaniste, la technique vient après l’homme, comme prolongement et augmentation de ses capacités d’adaptation. C’est justement cette vision d’un homme maitre et possesseur de la nature qui est remise en cause avec le numérique, et plus encore avec la convergence de l’informatique, des nanotechnologies, de la biologie et des sciences du savoir. Ce cocktail conduit à une autre vision de l’homme et de son évolution, jusqu’aux ruptures annoncées du transhumanisme, dont la robotisation de la communication en ligne constitue un des aspects les plus marquants. On pourrait presque renverser la formule historique et dire que la technique est occupée à reconfigurer l’homme.
S’il y a donc une communication digitale à penser et à organiser, elle consiste justement à questionner ces techniques de géolocalisation, ces phénomènes « viraux » de buzz sur les réseaux sociaux (avec entre autres leur impact sur l’accélération des changements politiques). Nous devons nous interroger sur la montée en puissance des géants de l’informatique et du multimédia à l’échelle mondiale, sur leur progressive prise de participation sinon de contrôle dans d’autres industries. Aujourd’hui, certains futurologues prédisent la prise de contrôle de Google sur l’industrie de l’automobile ! Nous devons aussi analyser les possibilités infinies de création de nouvelle valeur offertes à l’individu d’emblée connecté avec le reste du monde. On évoque ici le phénomène des start-ups, mais aussi la nuisance du « deep-Web », ce Web inaccessible aux moteurs de recherche et où règne sans partage l’économie parallèle. Il constituerait aujourd’hui, dit-on, 90% des échanges en ligne. Les technologies numériques se présentent ainsi tout à la fois comme un poison et un remède (ce que les philosophes appellent le « pharmakon »).
C’est une nouvelle page de l’histoire du monde et de l’aventure humaine qui s’écrit. Elle déstabilise en profondeur les anciens paradigmes économiques, comme elle remet en question les modèles éducatifs et culturels.
Comment se matérialisent ces enjeux par rapport au contexte plus spécifique de la communication numérique au Maroc ?
Si le Maroc a bien compris les enjeux de cette mutation dans l’économie et la finance, il doit plus encore envisager les effets de cette nouvelle page d’histoire. Il doit les anticiper en ce qui concerne la culture et les traditions, dans l’urbain mais aussi dans le rural et à l’échelle locale.
Il s’agit d’envisager la conversion numérique du patrimoine et du territoire. Il est important de le faire à la fois en termes de promotion économique (notamment touristique), à l’échelle globale, mais aussi du point de vue du vivre-ensemble. Les formidables perspectives éducatives et culturelles que révèlent les technologies numériques, tant du point de vue des savoir-faire que des savoir-vivre, sont à exploiter au maximum.
En quoi le « master d’ingénierie de la création multimédia » de Com’Sup avec l’Université de Nice Sophia Antipolis répond-il au besoin accru du marché en terme de profils orientés digital ?
Nous vivons une rupture dans la construction des connaissances, comme dans leur transmission. C’est cette mue qui motive l’association de Com’Sup avec le master ingénierie de la création multimédia de l’Université de Nice Sophia Antipolis. Ce partenariat repose sur l’idée partagée entre nous, selon laquelle il s’agit non seulement de donner aux étudiants la maîtrise des principaux outils de communication digitale et des outils associés (comme Photoshop ou Final Cut), mais aussi la compréhension des enjeux de ces technologies en termes de culture, de civilisation et d’éducation. C’est pourquoi ce master propose aux étudiants, mais aussi aux professionnels, un parcours orienté dans une triple perspective. Son premier pilier repose sur l’acquisition de compétences techniques à travers l’apprentissage des outils de la communication digitale et des principaux logiciels en usage dans le multimédia.
Il s’agit ensuite d’acquérir les connaissances théoriques les plus approfondies et interdisciplinaires possibles dans le domaine de cette transition numérique (ce que l’on appelle les « digital humanities ») : philosophie des réseaux, histoire et anthropologie des techniques et technologies, sociologie de l’art et des médias à l’âge numérique. L’objectif est de mieux comprendre les enjeux du numérique pour mieux relever les défis qu’il nous lance.
La formation passe enfin par l’acquisition de compétences en matière de gestion d’entreprise. C’est pourquoi certains modules de cette formation portent sur les aspects stratégiques d’adaptation à la nouvelle donne numérique.
Cette approche interdisciplinaire se traduit pas exemple dans le travail entrepris dans le cadre de notre projet Casa Nostra, autour de la conversion numérique de la culture et de l’histoire de Casablanca. Nous avons travaillé à partir d’une cartographie de certains quartiers et rues de la ville. Nous avons indexé et posté dans certains lieux des fichiers audio ou vidéo, des textes. Tous ces médias associés témoignent à la fois de l’histoire de la métropole mais aussi des capacités de sa jeunesse à créer à travers la musique, l’image ou le texte. Cette démarche vise à la fois à enrichir la connaissance de la ville par des publics élargis à l’échelle internationale, mais aussi à accompagner la transformation en profondeur de la ville, lui donner à travers ce double ancrage numérique dans le passé et le futur à la fois des racines et des ailes.