Selon le Boston Consulting Group, le digital représente actuellement une opportunité de développement inévitable pour les marques et individus. Aujourd’hui, les technologies du digital ont évolué pour inclure l’Internet des objets (iOT), l’impression 3D, les drones, la robotique et l’intelligence artificielle. Notre monde est entrain de muter sous l’influence de nos nouvelles pratiques en tant que humains connectés. Le changement à l’ère du digital est ainsi indéniable et chaque organisation doit en être consciente. Il est logique alors de nous questionner sur la situation du digital marocain et essayer de savoir si les annonceurs et entreprises du Maroc sont effectivement conscients des enjeux de cet environnement. Nous avons alors choisi de contacter Sanaa Bousbai, Digital & CRM Manager chez Centrale Danone Maroc, pour nous éclairer sur ce sujet.
Il est important de commencer par vous demander d’où vient votre passion pour le digital ?
Le digital, je suis tombée dedans en 2007 lorsque j’ai intégré une start-up parisienne qui offrait aux utilisateurs de messagerie instantanée des services pour améliorer leur façon de communiquer. Très vite, j’ai dû me familiariser avec la plateforme Google AdWords pour mettre en place des campagnes d’annonces payantes afin d’augmenter la visibilité de la plateforme et attirer plus d’utilisateurs. A ce moment là, j’étais loin de savoir comment ma carrière allait évoluer par la suite. Un an plus tard, j’ai intégré Centrale Danone en tant que digital manager. Très peu d’entreprises marocaines recrutaient des personnes dédiées au web à l’époque et mon challenge était de construire moi-même mon job. Et ce fut le cas ! Neuf années plus tard, je suis tombée amoureuse du digital qui est devenu ma passion, et par extension mon métier.
Ce qui me plaît dans le digital, c’est qu’il faut constamment challenger le statu quo. Ce qui est valable aujourd’hui en termes d’expertises, de tendances ou de compétences sera probablement obsolète dans 6 mois ou 1 an. Cela peut paraître affolant dans un marché du travail où l’accumulation et la capitalisation sur des compétences dans tel domaine ou tel secteur est valorisée, mais c’est tout le charme du digital 🙂 Je trouve que nous sommes dans une époque où il n’a jamais été aussi formidable que de travailler dans le marketing. Probablement parce que nous tous ne sont pas tous des “digital natives”. Nous sommes des “digital immigrants”. Mais le monde est fait de personnes aujourd’hui qui parlent digital : ils parlent digital quand ils dorment, quand ils font du sport, quand ils font du shopping, quand ils communiquent entre eux, ils parlent digital tout le temps ! Et les marketeurs et les organisations en général doivent apprendre à parler ce langage aussi couramment que les individus le font, sinon ils ne feront pas partie de leur vie. Plus précisément, les marques ne feront pas partie de leur vie.
C’est pour cela qu’il est essentiel pour nous tous de nous ajuster à ce nouveau monde.
Comment pouvez-vous décrire l’évolution du marché digital au Maroc ?
Je pense que le marché du digital au Maroc est sur le chemin de la maturité. Plusieurs facteurs contribuent à cette évolution.
D’une part du côté des players locaux qui commencent à se structurer davantage. Les agences, les régies, les médias et autres opérateurs ont compris qu’ils ne pouvaient pas se positionner sur toutes les expertises au risque de se disperser ou perdre leur crédibilité. L’agence qui sait tout faire n’existe pas à mon avis.
Une agence peut très bien performer en stratégie Social Média mais sera moins à même de délivrer une bonne prestation en SEO ou en achat média programmatique par exemple. D’où l’intérêt pour les opérateurs de bien définir leur proposition de valeur et nouer des partenariats sur des expertises complémentaires à leur savoir-faire.
Sur le paysage Média on line, nous constatons de plus en plus de sites d’information arabophones qui proposent du contenu assez pertinent. Leur challenge est double, car Médias Sociaux et Smartphone sont aujourd’hui la norme. Pour les users, ils devront proposer une offre adaptée à un usage de consommation rapide en mobilité sachant que plus de 70% du trafic sur Internet provient de ce canal. Les mobinautes sont en général allergiques à la publicité, d’où l’intérêt de repenser leur modèle publicitaire en proposant du native advertising, beaucoup mieux toléré que le display par les utilisateurs mobile. Le second fait est que, hormis quelques exceptions, plus de 90% du trafic des sites médias au Maroc provient des Social Media. D’où l’importance de travailler en terme de produit les fonctionnalités sociales des supports.
On assiste aussi à un dynamisme de la scène entrepreneuriale notamment par l’arrivée de start up tech aussi innovantes que brillantes qui proposent des services de contenu ou publicitaires aux annonceurs et se distinguent par leur capacité d’adaptation et leur flexibilité. Je cite entre autres des players tels que LIK qui ont ramené une vraie nouveauté sur le marché publicitaire mobile aux marketeurs. Je pense aussi à Go mobile, qui ont remporté the World Startup Cup ou Buzzkito qui s’est repositionné et s’est donné les moyens d’émerger comme étant un vrai publisher de contenu. Tous ces players donnent un nouveau souffle au marché du digital au Maroc.
Par ailleurs, quelques référents internationaux du web tels que l’incubateur allemand Rocket Internet ou le groupe norvégien Schibsted se sont installés au Maroc depuis un moment et ont su adapter leur stratégie au marché local en tenant compte des spécificités des usages des marocains. Preuve que le marché marocain, et plus globalement africain, représente un vrai potentiel pour ces opérateurs. Mais les investissements publicitaires en ligne (environ 150 Mdhs) restent encore faibles pour accueillir des géants tels que Google ou Facebook.
Quel est le constat d’un point de vue annonceur ?
Du côté des annonceurs, le digital reste un média encore très peu investi dans les plans de communication. Avec 61% de pénétration d’internet et 45% de smartphone, les marocains passent plus de temps à utiliser des appareils connectés (73% vs 26%) que sur les médias traditionnels. La récente étude “Connected Life” réalisée par TNS auprès d’un échantillon de 1.000 personnes, nous apprend que les marocains passent 4h par jour sur Internet, principalement sur le social media, sur les 6h par jour où ils sont exposés aux médias. En observant ces chiffres, il devrait y avoir un vrai revirement de mindset chez les annonceurs. Ces derniers ont intérêt d’une part à augmenter le pourcentage du budget média dédié au digital pour gagner d’avantage en reach et en notoriété, et d’autre part, investir différemment, en tirant profit de la particularité qu’offre le social média, à savoir l’interaction et l’engagement.
Enfin, en terme d’accessibilité, l’internaute marocain, et plus globalement les internautes africains et du Middle East ont une longueur d’avance en terme de comportement digital. Nous assimilons et intégrons plus rapidement et les usages du digital que d’autres pays émergents. Et pourtant, nous vivons un réel paradoxe. La décision de l’ANRT et des opérateurs télécoms concernant le blocage de la voIP constitue une réelle entrave aux libertés de communication et en est la parfaite illustration.
Pourriez-vous nous illustrer comment Centrale Danone aborde les enjeux de la marque digitale au Maroc ?
Au sein de Centrale Danone, nous avons de très fortes ambitions pour faire du digital un levier incontournable dans les plans de communication de nos marques. Nos trois catégories, Lait, PLF (produits laitiers frais) et Fromage comportent une dizaine de marques qui s’adressent à tous les âges de la vie. D’où l’intérêt de différencier chacune de ces marques par un point de vue et une mission unique. Ce n’est qu’à ce moment-là, que le digital, intégré aux autres touchpoints, nous permet d’amplifier l’expérience de la marque en engageant la conversation dans les deux sens avec les consommateurs.
Notre prochaine grande mutation sera de construire des marques qui ont du sens et qui vont au-delà des bénéfices fonctionnels de leurs produits. Il ne s’agira plus de digital marketing mais de réinventer la manière avec laquelle nous faisons du marketing à l’ère du digital.
Nous passons à un monde où les consommateurs peuvent choisir ou non de répondre ou de regarder un contenu et où la technologie permet la faisabilité et la mesurabilité de tout ce que nous entreprenons. La publicité a dramatiquement changé, mais son objectif reste le même : connecter les marques et les individus. Ce qui est nouveau, c’est notre capacité de comprendre les personnes mieux qu’auparavant, afin de les toucher de manière personnalisée, les engager et être dans l’interaction, et rendre disponible nos produits en un clic au niveau de tous les touchpoints.
Ce qui a changé, c’est la motivation derrière le choix d’une marque. Les consommateurs ont besoin d’avoir plus de services qui leur apportent de la valeur, un cran au-dessus des fonctionnalités basiques d’un produit. Ils ont besoin de marques qui vont améliorer leurs vies et dont ils seront fiers. Saviez-vous que si demain, 75% des marques venaient à disparaître, personne ne s’en soucierait réellement ! C’est dire le faible nombre de marques qui comptent vraiment et qui arrivent à avoir une empreinte dans la vie des consommateurs.
En 2016, nous avons activé plusieurs marques sur le digital. Pour une marque telle que Danino, notre objectif est de connecter avec la maman tout au long de l’année et pas uniquement lors des temps forts. Pourquoi ? Parce que le besoin d’information de la maman sur le développement de son enfant est toujours présent. Nous avons donc développé une série de contenus afin de l’engager sur le social média. Des vidéos ludiques pour qu’elles puissent réaliser des activités avec son enfant, des conseils éditoriaux sur des sujets qui lui tiennent à cœur telles que la diversification alimentaire ou l’exposition précoce des enfants aux écrans, ou encore une série de capsules où d’autres mamans à travers plusieurs villes du Royaume ont accepté de témoigner sur les premières fois de leurs enfants.
Sur Jebli, notre objectif est de positionner le produit comme un ingrédient de cuisine incontournable pour réussir ses recettes. Face à la multitude de vidéos qui circulent dans l’univers du cooking, l’idée était d’émerger. Avec notre agence, nous avons mis en place une série de capsules vidéo très courtes où nous avons revisité des plats traditionnels typiques des principales régions du Maroc en y intégrant Jebli. De plus, chaque capsule était accompagnée d’une chanson qui traduisait de manière très amusante le déroulé de la recette et la couleur musicale de la région. Résultats : Plus de 3 M de vues en quelques semaines dont 50% générées organiquement.
A l’occasion de la fête des mères, nous avons réalisé une vidéo “react” sponsorisée par notre marque de fromage Cœur de lait où des enfants ont dû choisir entre un cadeau pour eux et un autre à offrir à leurs mamans. Ce contenu a su toucher émotionnellement les individus et a généré un volume d’interaction et un engagement qui était au-delà de nos attentes qui s’est traduit par un raz de marée d’émotions. La principale raison est que cette expérience, que l’on peut qualifier de User centric (vs Brand centric), est basée sur un insight humain très fort qui a su raisonner profondément dans la tête des marocains : l’amour et la valeur que nous portons tous à nos parents.
Au-delà du marketing digital, comment abordez-vous la transformation digitale ?
Nous avons entamé depuis peu une évaluation de notre maturité digitale, et ce au niveau de tous les ponts de l’organisation, car finalement le digital finira par transformer tôt ou tard tous nos métiers : Du marketing à la gouvernance, en passant par la Data ou la Supply Chain. Evidemment, ce processus est adapté au contexte dans lequel évolue Danone en termes de transformation digitale. C’est une sorte de prise de conscience et de recul qui nous permet d’identifier l’ensemble des domaines qui sont impactés par le digital, leur niveau d’importance pour l’organisation (bas, moyen ou haut), ceux qui sont stratégiques, dans l’objectif de définir un plan d’action qui met l’accent sur nos priorités.
Parmi les domaines prioritaires identifiés, il y a tout d’abord notre mode de gouvernance, ou comment construire une vision pour définir une direction stratégique avec les moyens financiers, humains, et ressources techniques afin d’assurer une transformation digitale réussie. Cela sera possible lorsque le digital sera complètement intégré à tous les aspects de notre business et que nos fonctions clés et l’ensemble de nos collaborateurs seront impliqués et au fait de nos objectifs sur le digital.
Il y a également les aspects liés à la digitalisation de nos ressources internes qui passera par la formation, l’équipement des équipes et l’adaptation des processus de travail pour qu’ils puissent relever les challenges et les opportunités offertes par le digital dans leur jobs.
A titre d’exemple, Danone en partenariat avec une société spécialiste de la formation digitale, a conçu une plateforme de e-learning destinée aux professionnels du marketing au sein de l’entreprise. Le programme baptisé “Connectland MOOC ” est conçu pour donner des clés aux équipes pour repenser la manière avec laquelle ils opèrent dans le marketing à l’ère du digital.
D’autres domaines tels que le Mobile ou la data sont des chantiers tout aussi importants. On peut imaginer demain la fonction de “ Data Officer” dont la mission sera de mettre en place une plateforme digitale qui met à disposition des informations stratégiques de façon unifiée sur nos produits, nos consommateurs, leur niveau de consommation ou de satisfaction ou sur nos partenaires et qui offrirait des processus adaptés à tous les touchpoints, les produits et les canaux.
En tant qu’experte marocaine, qu’est-ce qui vous excite le plus à propos du futur du digital ?
Il y a 15 ans, je n’aurai probablement pas imaginé faire ce que je fais aujourd’hui. Je pense que la plupart d’entre nous n’auraient pas imaginé qu’il y aurait un monde d’internet, de smartphone, de wifi ou d’email, et encore moins de réalité augmenté ou d’objets connectés.
Il y a eu tellement de changement durant cette décennie que personne n’a vu venir. C’est ce sentiment “d’inattendu” qui m’excite le plus à propos du futur du digital. Qu’allons-nous inventer encore demain ? Que vivront nos enfants et de quoi seront ils équipés dans 10 ans ?
Ce qui m’excite en tant que marketeur, c’est de voir comment toutes les marques se transformeront tôt ou tard en “ médias”, “ publishers” ou “ services”. Et ceci passera par leur capacité à mieux assimiler les usages des internautes, mieux communiquer avec les consommateurs, afin de créer des expériences et non vendre uniquement un produit. D’où la nécessité de s’entourer de ressources assez confiantes et qui sont prêtes à se lancer dans ce grand virage.
D’un point de vue métier, je trouve que c’est un moment très excitant pour opérer dans le marketing digital aujourd’hui. Le digital est une réelle opportunité pour se réinventer.
Mais à mon avis, il ne suffit pas de s’asseoir dans une salle de réunion et attendre de nos agences des recommandations sur ce qui pourrait être engageant ou pas, ou sur les dernières tendances du digital. Ce n’est plus acceptable. C’est important pour un marketeur de s’investir d’avantage dans la construction des marques qu’il gère, de comprendre les usages, d’identifier ce qui serait pertinent ou pas. C’est le seul moyen d’avoir un vrai jugement.
Un des plus grands challenge en termes de mesurabilité durant les 10 prochaines années sera d’arriver à intégrer la mesurabilité sur mobile aux systèmes de mesurabilité existants. Parce qu’aujourd’hui, nous sommes en mesure de qualifier “ le reach, la fréquence ou encore l’exposition” qui sont identifiés via un navigateur unique. Et ce concept sera plus complexe via le mobile car beaucoup d’activités se passent sur des applications mobiles ou en cross device. Tout le challenge sera de comprendre comment j’attribue ces activités mobiles au même individu en les croisant à celles des autres média ou devices.