Nous avons publié récemment une synthèse de l’étude « Connected Consumer Survey » de Google, dans sa partie traitant du Maroc, et nous abordons dans cet article, un point spécifique, souvent discuté dans nos échanges et nos réflexions avec nos clients et partenaires, à savoir, celui de la tendance des personnes à regarder la télévision tout en étant simultanément connectés à Internet.
Ce sujet a des implications stratégiques sur nos chaînes de télévision nationales, mais également sur toute la chaîne de valeur économique de ce secteur, et plus particulièrement sur nos capacités à garder et à développer la dépense publicitaire dans notre économie au lieu de la servir sur un plateau doré aux géants mondiaux du Web.
La première question de débat sur ce sujet qui n’a, à notre connaissance jamais fait l’objet d’études publiées au Maroc, est celle du pourcentage d’individus qui ont naturellement tendance à regarder la télévision sous sa forme classique, tout en étant connectés à travers un second terminal à Internet pour suivre un contenu parallèle.
Au Maroc, si l’on en croit l’étude de Google, ils seraient exactement 50% à le faire, et cette tendance se vérifie dans les mêmes proportions aussi bien chez les hommes que chez les femmes.
En revanche et de manière naturelle, les moins de 25 ans déclarent le faire pour 58% de la population étudiée, et les 35 ans et plus, pour à peine 41%.
Autant le premier chiffre nous semble sous-évalué, compte tenu de la propension naturelle des Millennials à se détourner de la télévision classique, autant le second chiffre nous inquiète un peu pour l’avenir des télévisions nationales.
Le bassin d’audience de nos télévisions est évidemment riche et diversifié et couvre toutes les classes d’âge, mais son fonds de commerce économique repose essentiellement sur les classes à fort pouvoir d’achat, et qui ne sont pas les Millennials pour toutes les raisons économiques naturelles qui n’ont pas besoin d’explications avancées, et le fait que 41% de ces cibles business annoncent «décrocher» pendant le visionnage d’un contenu diffusé sur la télévision pour surfer sur Internet, interpelle naturellement sur l’efficacité de ce média et sur sa capacité à retenir l’attention de ces cibles.
L’apport de la publicité à travers la télévision sur certaines cibles médias est indéniable, et l’importance de ce média n’est pas à remettre en cause dans les plans des marques.
Cependant, le paysage change à une telle vitesse que l’on peut se poser de manière légitime la question de la pérennité du niveau actuel de couverture assuré par ce média dans cette nouvelle ère de l’hyper-connexion et du Multi-Screen, et plus encore, de sa capacité à retenir l’attention des audiences pendant les moments de diffusion publicitaires pour continuer à assurer les revenus essentiels pour sa survie.
La télévision est un secteur stratégique pour le pays, c’est un secteur hyper-réglementé, qui ne bénéficie malheureusement pas des conditions d’agilité nécessaires pour lui permettre de réaliser sa mutation plus rapidement, et l’esprit de sa réglementation n’a pas été mis à jour pour tenir compte de ce nouveau monde imposé par Internet et les technologies.
L’annonceur cherche du reach et de la couverture, mais également de la flexibilité dans les formats publicitaires, comme ce que nous constatons dans la presse électronique notamment, mais la télévision est encadrée par moult contraintes qui ne lui permettent pas de suivre et de s’adapter au bon rythme.
Nous pensons que le régulateur devrait revoir sa copie de manière urgente, et alléger la télévision d’un ensemble de contraintes de contenu, et de respect de la déontologie publicitaire «souvent exagérés», et héritée de la pensée francophone et du modèle français de la publicité, sous peine de voir l’argent des annonceurs basculer de manière encore plus forte dans les poches des géants majeurs du Web en 2018, car notre marché de l’offre publicitaire digitale locale demeure très faible en inventaire utile pour proposer une alternative nationale crédible en cas de perte importante de vitesse de la télévision dans le temps.
Entre la perception de rigidité, et le fait que même le coeur de cible business de la télévision se met à l’hyper-connexion et au décrochage pendant le visionnage des programmes, il y a de quoi s’inquiéter pour l’avenir de ce média, car l’opérateur à l’échelle micro-économique, ne s’intéresse qu’à la rentabilité de son exercice immédiat, et face à la pression des marchés, le «nationalisme» ne pèse pas lourd devant les contraintes de court terme et les obligations de résultat.
En tant qu’agence de marketing digitale au Maroc, nous devrions avoir une posture qui plébiscite l’investissement publicitaire digital et qui en vante les vertus et les mérite, et qui par effet de miroir, enfonce les autres médias classiques, mais cela ne nous semble pas responsable et nous pensons que chaque média a son importance dans un dispositif publicitaire intelligent et bien construit, et qu’en absence d’une offre digitale nationale forte, une télévision affaiblie ouvre une voie royale vers des transferts massifs de valeur vers les géants du web.