En 2010, Panda Cheese, une obscure marque de fromage à tartiner produite par Arab Dairy, faisait irruption sur les écrans égyptiens par la grande porte et donnait naissance à des spots aujourd’hui mythiques. Retour sur les codes d’une publicité devenue virale sur Internet, et bien moins innocente qu’il n’y paraît…
Méfiez-vous du panda !
Scène de bureau. Un homme tartine du fromage sur un morceau de baguette et propose à son collègue de lui préparer un casse-croûte. Celui-ci refuse : «Je n’ai pas faim». Zoom arrière, un panda géant se matérialise derrière le bureau, surgi de nulle part, alors que la musique «True Love Ways» de Buddy Holly joue en arrière-plan. Le panda fixe nonchalamment le collègue récalcitrant pendant quelques secondes avant de se laisser aller à une explosion de violence – silencieuse. Zoom ensuite sur la patte du panda qui vient déposer d’un geste sûr une brique de Panda Cheese sur le bureau, alors qu’une voix de ténor vient marteler : «Never say no to Panda» (on ne dit jamais non à Panda).
Autre scène : un père et son fils font leurs courses au supermarché. Le fils suggère l’achat d’une brique de Panda Cheese mais le père refuse : le caddy est plein. Le panda géant apparaît, fixe le père de ses grands yeux sombres pendant quelques secondes, avant de retourner le caddy et de piétiner rageusement les commissions renversées. Quelques secondes plus tard, quelques jours plus tard, le père et le fils retournent au magasin. Le panda est toujours là, devant le rayon fromages. «Papa, on prend du Panda ?». Intimidé, le père saisit une première, puis une seconde brique de Panda avant de s’éloigner discrètement.
Panda : 1 – Consommateur : 0
Les spots «Never say no to Panda» ont été primés au Dubaï Lynx International Advertising Festival, au Cannes Lion Festival International de la Publicité et aux Epica Awards. Développés par l’agence Elephant Cairo, ils ont réussi, avec leur panda éponyme, à faire acheter un fromage qu’on ne voit au final jamais en utilisation.
Lait de vache, de chèvre, de brebis ou même de panda ? Aucune idée. Riche en calcium ? Peut-être. Fondant ? A vérifier. On ne sait pas à quoi ce fromage ressemble, on ne sait pas avec quoi il se mange et pourtant, saisi de curiosité, vous pourriez être tenté comme moi d’acheter du Panda Cheese, juste histoire de tester ce drôle de fromage.
Parce que cette publicité, avec son panda géant qui terrorise les protagonistes, nous vend de la subversion, nous vend de l’humour à contre-courant, nous vend un déferlement de violence aux accents ridicules. La musique aux accents rétro et langoureux de «Just you know why» accentue le comique des gestes rageurs, calculés et méthodiques de l’animal habituellement si tendre et qui dévoile ici son mauvais caractère si attendrissant.
La publicité réussit surtout ce défi d’ancrer définitivement l’identification à la marque. Le panda éponyme, l’ambiance, la vengeance, la musique, la signature… tout participe à faciliter l’immédiate reconnaissance de la marque et de son produit, et à la différencier de manière définitive de sa concurrence. Aucun risque, après avoir vu cette pub, de confondre Panda avec de la Vache qui Rit ou de l’Edam.
Le chantage comme argument de vente
Mais si cette série de spots publicitaires me plaît autant, c’est surtout parce qu’elle est résolument subversive et constitue un manifeste contre les codes de la publicité.
Car que voit-on, au final ? Des consommateurs qui achètent du Panda Cheese sous le chantage du panda. On est bien loin de l’achat de cœur, de plaisir, de désir ou même de besoin : ici, on achète, contraint et forcé, sous l’œil impassible d’un panda géant qui a donné lieu à un nombre incalculable de reprises et de parodies sous forme de memes et de gifs qui continuent de connaître un véritable succès viral.
Et pourtant, cette contrainte et ce chantage ne choquent pas car on pourrait presque y voir une autodérision de la publicité. Achète-t-on vraiment librement ? Si c’était le cas, la publicité n’existerait pas…