Depuis 2006, le rendez-vous du paiement et de l’identification en Afrique, «Africa Pay&ID Expo», réunit chaque année plus de 80 intervenants à Marrakech. Suite à son intervention samedi 30 mars dernier sur le thème «Fidélité : Quand l’ultra-personnalisation redéfinit la relation avec le client», Hassan Rouissi revient sur les enjeux de la data et de l’ultra-personnalisation pour maximiser la conversion et la fidélisation, au service des banques et institutions financières. Entretien.
La data est perçue par de nombreuses institutions financières comme un véritable eldorado, annonciateur d’une révolution des services financiers et de la relation client. Quelles sont selon vous les potentialités de l’utilisation et de la valorisation de la data pour les services financiers ?
La data est non seulement un formidable facilitateur de la relation client, mais elle constitue surtout l’un des plus précieux capitaux de l’entreprise. Si elle est bien collectée, bien centralisée, bien exploitée, elle permet de créer une communication pertinente, personnalisée et contextualisée.
Il suffit de rappeler quelques exemples concrets de son utilisation pour démontrer tout l’intérêt de la data… Les marchés du crédit à la consommation, de l’assurance et de la gestion de l’épargne sont d’excellents pourvoyeurs de use cases : les opérateurs ont mis en place des recommandations personnalisées basées sur l’historique des financements ou le scoring d’appétence (probabilité qu’un prospect réponde favorablement à une offre, basée sur son comportement, sa navigation…).
Cela permet à ces entreprises non seulement de maximiser leur taux de conversion, mais aussi d’anticiper le risque de churn au moment du renouvellement.
Le digital est, dans ce contexte, un excellent pourvoyeur de data, à travers les canaux de la marque (espaces client, applications mobiles) ou à travers les canaux shared et paid (réseaux sociaux, display, email, retargeting, search).
Par ailleurs, le potentiel du digital peut être décuplé s’il est assimilé à des parcours client multicanaux et recéler de réelles opportunités de rationalisation des efforts marketing.
Comment évaluez-vous l’intérêt des consommateurs pour les services financiers personnalisés ? Y a-t-il pour vous une véritable demande ?
Sans aucun doute. Les consommateurs ne souhaitent pas être des numéros et ne peuvent qu’apprécier les efforts d’une marque pour comprendre leur contexte et leur adresser, en conséquence, des messages pertinents et adaptés à leur situation et à leur besoin.
Mais toucher ses cibles au bon moment, au bon endroit, nécessite une approche de plus en plus complexe : c’est la raison pour laquelle on a vu apparaître depuis quelques années la notion de « customer journey ». Cet outil permet de modéliser le parcours de vos utilisateurs, et l’ensemble de leurs interactions avec vos différents touchpoints, de la découverte de la marque à l’achat, et jusqu’au service après-vente. Quelles informations vont-ils rechercher ? Quelles informations vont-ils recevoir de votre part ?
Mais quand on parle de personnalisation, les mots « équilibre » et « confidentialité » sont rapidement abordés : la personnalisation est indispensable, mais doit rester imperceptible, jamais intrusive, et toujours revêtir une réelle valeur ajoutée pour le client. Aux marques d’être transparentes dans la collecte des données en indiquant clairement quelles données sont stockées, et pour quel usage. Et surtout, ne jamais donner aux clients la sensation d’être épiés…
En Europe, l’utilisation de la donnée est désormais régulée par un Règlement européen sur la Protection des Données Personnelles (RGPD). Ce règlement rend le consommateur acteur et décisionnaire de l’utilisation de sa data. Comment réagissez-vous à cette réglementation ?
Le RGPD est, à mon sens, une opportunité de taille à saisir pour les marques. Mais elle exige la mise en place d’une gouvernance de la data qui, in fine, protège les marques, assoit l’image de transparence auprès des consommateurs et réduits les risques liés à la sécurité.
Quels obstacles ou limites identifiez-vous, à date, dans l’utilisation de la donnée à des fins marketing ?
Les principaux obstacles que j’identifie ont trait à deux aspects : tout d’abord, de nombreuses marques souffrent toujours d’une organisation et d’une architecture SI en silos, qui peine à accompagner la dynamique par nature transversale et multidisciplinaire centrée autour de la data.
Ensuite, la gouvernance de la data et des analytics reste encore souvent un concept lacunaire dans les entreprises : les instances de direction doivent déployer un véritable écosystème de la data, supporté par une culture data-driven.
De nombreuses réflexions portent en Europe sur l’évolution de la relation entre paiement et data. Certains opérateurs envisagent notamment de proposer des services ou des offres sur-mesure basés sur les historiques de paiement. Ce modèle pourrait-il inspirer l’écosystème africain ?
Le secteur bancaire a toujours essayé de développer des modèles basés sur la data consommateur. L’édition 2018 de l’étude « Guide to Financial Marketing » a indiqué que la priorité numéro 1 des institutions financières est de développer des initiatives permettant du cross-sell / up-sell, l’enrichissement de la relation client et aussi la compréhension client.
L’assistance dans le suivi du budget en est un exemple concret. Aujourd’hui, avec l’accès à la data, cela est redevenu un axe majeur dans le développement de la relation banque / client.
L’opportunité future particulièrement prometteuse est celle où les banques deviendraient des third-party data providers au service des annonceurs. Orange France a marqué le pas en déployant sa propre data marketplace où plus de 20 millions de cookies profilés sont disponibles en retargeting à travers Appnexus.
L’utilisation de la data peut aussi être perçue sous l’angle de la sécurité et de la sûreté, notamment avec les réglementations ayant trait au KYC (Know Your Customers). Quelles sont les réflexions des acteurs dans ce domaine en Afrique ?
Plusieurs acteurs locaux sont déjà assez avancés sur le sujet. Plusieurs usages liés à de la souscription en ligne, par exemple, sont en train de voir le jour.
Désormais, les technologies de reconnaissance faciale basée sur l’IA, les technologies d’OCRisation qui deviennent de plus en plus perfectionnées et les modèles de scoring et de prédiction de risque sont à disposition des marques pour différents d’usage, dématérialisation de la souscription en tête.