OK, nous sommes tous d’accord : Instagram ‘is not real’, les followers suivent un peu tout et n’importe qui et qui dit ‘followers’ ne dit pas nécessairement ‘customers’. OK. Pourtant, quand @Arii, jeune influenceuse lifestyle aux 2,6 millions d’abonnés sur Instagram, invitait sa communauté à acheter en ligne son dernier modèle de t-shirt, on pouvait s’attendre à tous les records. Résultat : 36 commandes ! Retour sur la chronologie d’un fiasco annoncé et d’un malaise au pays de l’influence.
Chronologie des faits…
Je vous présente Ariana Renee, alias @Arii, et elle n’est pas contente. Pas contente du tout. Après s’être fait connaître sur Musical.ly (application destinée aux adolescents, devenue Tiktok) où elle compte plus de 6 millions de fans et plus de 200 millions de likes, la jeune fille originaire de Miami et aujourd’hui âgée de 18 ans développe très rapidement une présence suivie sur Instagram où elle partage du contenu autour de son quotidien et ses routines beauté de jeune lycéenne, membre de l’équipe de cheerleading et fan de vernis à ongles. So cool…
La it-girl décide, début 2019, de lancer sa propre marque de vêtements, Era, et de démarrer avec la commercialisation sur Instagram d’un premier t-shirt, l’objet du délit. Arii invite alors sa communauté à acheter en ligne.
Dans un message supprimé depuis, Arii révèle malheureusement, au terme de sa campagne commerciale de 13 jours, son incapacité à vendre un (pourtant) maigre volume de 36 articles. « Bonjour, ça me brise le cœur d’écrire ce post », commence-t-elle. « Comme vous le savez tous, j’ai lancé ma marque. J’ai mis tout mon cœur dans ce déploiement (…) mais malheureusement la société avec laquelle je travaille se base sur le niveau des premières ventes. Pour qu’elle commande et fabrique mes produits (même pour continuer à travailler avec eux), je dois vendre au moins 36 pièces. ».
Seulement 36 t-shirts. 36 t-shirts sur 2,6 millions. Soit 0,001%.
Si vous daignez considérer comme moi ce chiffre comme un taux de conversion, vous réaliserez vite qu’il est même trop bas pour quelque influenceur que ce soit ayant l’ambition d’influencer. 0,001%. C’est même fondamentalement moins efficace qu’une bannière display ou qu’un emailing de masse. J’ai l’impression d’être moi-même en mesure de vendre 36 t-shirts si je faisais appel à mes amis Facebook.
Et pourtant, ce quota n’a pas été atteint au moins même que les rares acheteurs ont du être informés que les t-shirts ne seraient pas produits et qu’ils ne seraient pas livrés.
Confession amère
Mais la confession ne s’arrête pas là, et devient rapidement amère. « Je savais que ce serait difficile [de vendre 36 pièces] mais je recevais de bons commentaires, les gens aimaient et étaient prêts à acheter. »
En effet, avec plus de 2,6 millions de followers (un nombre important, même dans le monde des influenceurs), on pouvait en effet présager que le lancement de la marque de Arii et l’atteinte des objectifs de vente minimum serait facile. Mais « personne n’a tenu parole, alors la société ne sera plus en mesure d’envoyer les commandes aux gens qui avaient acheté les trucs, et ça me brise le cœur (…) Les personnes dont je pensais qu’elles me soutiendraient ne partageaient aucun de mes messages, et ça peut sonner ‘bitchy’ mais on ne va pas mentir, j’ai soutenu la musique de tout le monde ou quoi que ce soit quand ils demandaient mon soutien, et je n’ai rien obtenu en retour. »
Car l’anecdote semble bien avoir mis du plomb dans l’aile à l’influenceuse, qui a décidé de mettre momentanément de côté son entreprise.
Fin de l’histoire ? Pas du tout ! Les confessions de Arii sur son entreprise avortée sont rapidement devenues virales sur les réseaux sociaux, et ont déclenché, au sein de la communauté des marketeurs,.Alors, quelles leçons tirer d’un tel fiasco ?
#1. Influence en berne
« La bulle d’influence est en train d’éclater. Cette jeune femme compte plus de 2 millions de followers et n’est pas en mesure de vendre 36 t-shirts. Concentrez-vous sur un engagement sincère et non sur les fans, car ils ne veulent rien acheter » commentait ainsi @Kissmvelite sur Twitter. En effet, un grand nombre de followers ne constitue plus nécessairement une base suffisante pour construire une carrière d’influenceur.
#2. Followers ≠ Customers
2,6 millions : le nombre de followers tend à créer de fausses attentes. S’il s’agit d’un indicateur important, le taux d’engagement permet souvent de bien mieux calibrer ses efforts de communication, mais ne se traduit pas nécessairement, lui non plus, par des ventes directes. Avec une moyenne de 41 000 likes et 237 likes par post, on pouvait s’attendre à ce que Arii ne rencontre pas le succès espéré auprès de ses followers, majoritairement passifs.
#3. Manque d’alignement
Très rapidement, des internautes ont critiqué la qualité des produits commercialisés : n’étaient-ils pas en contradiction avec sa marque personnelle ? « Jetez un coup d’œil à son fil Instagram versus sa ligne de produits. Ils n’appartiennent même pas à la même esthétique. » observait @JuiceboxCA sur Twitter. Bref, on ne retrouve pas dans la collection de t-shirts la trace du style personnel de Arii. Que dire aussi du manque d’originalité des articles ?
#4. Feed ≠ Brand
Nous sommes exposés au quotidien à entre 4 000 et 10 000 annonces. Dans ce fouillis de messages, seuls émergent les contenus qui témoignent de réels partis-pris. Or, avoir un joli fil Instagram n’a jamais été synonyme de marque.
#5. Pas de promotion = Pas de vente
@B_Effin_G a analysé les posts consacrés aux articles en vente et observé des légendes peu engageantes : « Les légendes ne me disent rien. C’est juste un tas de phrases génériques que vous pourriez trouver sur un autocollant, puis zéro hastga. » Le fil d’Arii témoigne d’un manque de planification stratégique qui lui aurait permis de mixer les formats et les fréquences de publications pour interagir au mieux avec les followers. Arii aussi a remis en cause le manque de soutien de la part des autres influenceurs qui aurait pu lui permettre de maximiser l’exposition de ses publications et de ses articles. L’exemple du Fyre Festival nous l’a démontré : il ne suffit pas à quelques stars de l’influence de publier quelques messages aléatoires et d’espérer ensuite que les ventes décollent.
#6. Mauvaise adaptation aux besoins de la cible
70% de l’audience de Arii a moins de 24 ans, et 33% de ses followers ont même moins de 18 ans. Ce qui signifie qu’une majorité de l’audience de Arii est constituée d’adolescents qui ne disposent pas (ou peu) de pouvoir d’achat. Ne pas faire le lien entre les produits et leur cible est tout simplement contre-productif et inauthentique. Il aurait été essentiel qu’Arii associe ses followers au processus de conception de la collection de t-shirts, afin d’assurer leur conversion et leur fidélité.
Toutes ces questions challengent le rôle à assigner aux influenceurs dans le mix marketing : un savant mix d’authenticité et de branding, de planification et de sponsorisation qui n’est résolument pas mort, mais qui, arrivé à maturité, sera amené à se redéfinir dans les années à venir.