Si les publicitaires ciblent les enfants, c’est parce qu’ils sont de grands prescripteurs au sein de la famille ou possèdent leur propre pouvoir d’achat. Quels sont leurs leviers d’action, et doit-on s’en méfier ?
Je suis une enfant des années 80.
A cette époque que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, la publicité à destination des enfants était beaucoup plus limitée qu’elle ne l’est aujourd’hui – parce que les canaux de communication étaient limités, pas d’Internet, pas d’applications et surtout, pas de YouTube. Surtout, étais-je trop naïve, mais avant 6 ans, je ne réalisais pas tout à fait que les produits dans la télévision étaient disponibles à la vente dans le monde réel.
Gagner un client avant l’âge de 10 ans = capter un client à vie
Aujourd’hui, les 4-11 ans constituent une cible choyée par les annonceurs, qui règne sur près de 40% des dépenses de la famille. Les enfants dépensent eux-mêmes des milliards, mais ont aussi un rôle de prescripteurs dans de nombreuses catégories de produits : alimentaire, habillement, automobile, équipement…
Cibler un enfant est souvent le meilleur moyen d’accéder au portefeuille d’un parent, en particulier celui de la maman. Le « super-binôme-consommateur » mère-enfant est responsable de dépenses qui atteignent un milliard de dollars aux Etats-Unis.
Les enfants sont donc inondés du même volume de messages marketing que le reste d’entre nous. Les marques se sont dotées des outils et des compétences pour résonner avec les enfants et établir des relations durables avec ces futurs clients, « du berceau à la tombe ».
Impressionnables mais pas si faciles à atteindre
Amener les enfants à développer une relation avec les marques peut sembler simple à première vue : ils sont impressionnables (crédules ?) et leurs défenses psychologiques ne sont pas encore complètement développées, nous disent les pédopsychiatres. La recherche montre clairement que les enfants de moins de 4 ans ne peuvent pas faire la distinction entre les publicités et les programmes télé : ils font partie du même divertissement.
La capacité de comprendre l’intention derrière l’image n’apparaît qu’avec le temps… d’autant plus de temps quand les marques passent leur temps à essayer de brouiller les frontières entre brand content et entertainment. Difficile pour l’esprit critique des enfants de faire la part des choses.
Et pourtant, d’autres recherches démontrent combien les enfants sont aussi paradoxalement le groupe de consommateurs le plus susceptible d’ignorer les annonceurs. Difficiles à atteindre, lents à faire confiance… Comment alors se faire aimer des enfants ?
YouTube, love brand des kids !
YouTube est la marque la plus appréciée des enfants de 6 à 12 ans, selon un sondage de Smarty Pants mené auprès de 8 200 enfants. Pas la plateforme sociale la plus aimée, mais la marque la plus aimée, qui bat Mattel, McDonald’s, Lego, Oreo, Crayola et même Disney…
Cette forte influence de YouTube conduit aujourd’hui certains marketeurs à considérer la plateforme comme un usurpateur de la télévision. Les habitudes de visionnage sont apprises et acquises très tôt, et au lieu de s’asseoir devant la télé pour regarder le dessin animé du samedi matin, les enfants ont développé l’habitude de regarder des vidéos à la demande, sur YouTube, sur smartphones ou tablettes.
Du Kidvertising à la Kidfluence
Les spécialistes du marketing qui tentent d’atteindre les enfants capitalisent sur YouTube dans leurs stratégies publicitaires, en s’appuyant de plus en plus sur des influenceurs enfants qui ont acquis un nom et développé leur marque grâce à YouTube.
Connaissez-vous Samia Ali, EvanTube, Jacob Sartorius, Emma and Mila Stauffer, Gabe and Garrett ou encore Ryan Kaji de Ryan Toys Review ? Si vous avez plus de 12 ans, c’est peu probable. Pour vos enfants, ce sont de véritables icônes, dont les taux d’engagement rendraient jaloux les influenceurs adultes.
Leur succès repose sur leur très grande authenticité : mélange de télé-réalité, de farces, de danses et de jeux, leurs contenus semblent emplis d’une joie sincère et contagieuse.
Les vidéos des YouTube Kids font ainsi figure de recommandations amicales aux yeux des plus jeunes internautes, qui en sont aux premiers stades de compréhension et de reconnaissance de la publicité, et peinent encore parfois à déchiffrer lorsqu’une vidéo sponsorisée franchit les frontières du marketing.
De là à la manipulation, il n’y a qu’un pas.
Les vidéos produites avec des kidfluenceurs sont plus efficaces qu’aucune publicité télévisée traditionnelle, avec un scénario et une production professionnelle.
Victor Lee, Vice-Président Jouets Hasbro
Protéger ou cibler les enfants
Le marché émergent du marketing pour enfants exploite souvent un vide juridique : peu de lois encadrent la publicité télévisée à destination des enfants, et le manque est d’autant plus prégnant sur Internet.
YouTube dispose d’un code de bonne conduite, mais tarde à le respecter : officiellement, le site ne permet à aucune personne de moins de 13 ans de créer une chaîne ou de posséder un compte, et l’application YouTube Kids n’est pas censée contenir de contenu sponsorisé.
Mais la publicité s’invite, à travers le placement de produits dans les vidéos des enfants influents, et les enfants sont susceptibles de mentir à propos de leur âge au moment de leur inscription.
La plateforme a aussi déclaré travailler afin de protéger les enfants et les familles, mais des commentaires obscènes sont régulièrement découverts sur des vidéos innocentes d’enfants. YouTube a annoncé (sans le mettre en œuvre) qu’elle suspendrait les commentaires sur la plupart des vidéos de mineurs.
Affaire à suivre…
Marketer les enfants de manière éthique et réussie : quelques exemples
Certaines marques ont mis à profit leurs canaux sociaux ou leur temps d’antenne à la télévision pour créer un véritable lien avec leurs plus jeunes consommateurs. Elles ont fait le choix de les inspirer, de les responsabiliser, de démontrer des valeurs positives.
Les parents apprécieront, les enfants s’en souviendront et les marques en récolteront les fruits.
Barbie
Vous vous rappelez, le temps où les Barbie étaient toutes minces, blondes et surtout blanches ? Depuis de nombreuses années, Mattel fabrique des poupées de toutes formes et tailles, ethnies, carnations et professions. Pour fêter les 60 ans de la marque, Mattel a lancé une collection de poupées représentant 6 carrières où les femmes sont encore sous-représentées : astronaute, pilote, athlète, journaliste, politicienne et pompier. Pour poursuivre la célébration, Barbie a initié la campagne « Be Anything » et lancé un vlog YouTube intitulé « Finding your Voice » dans lequel Barbie donne des conseils aux filles sur ce qu’il faut faire lorsque quelqu’un essaie de brimer leurs idées, simplement parce qu’elles sont des filles.
Dove
J’aime beaucoup la marque Dove qui a développé ces dernières années un storytelling très fort autour de la confiance en soi et de l’indépendance d’esprit (renforçant la confiance des femmes sur leur apparence, encourageant les papas à être des partenaires égaux dans l’équation parentale, incitant tout le monde à être plus gentil les uns avec les autres et avec soi-même…).
En 2019, Dove a fait équipe avec Cartoon Network pour développer Steven Universe qui, bien que son nom masculin ne l’indique pas, est entièrement consacré à l’énergie et au pouvoir féminins, et intègre des personnages et des problèmes LGBTQ. Les personnages de Steven Universe discutent au fil des épisodes de leurs problèmes de confiance en eux et des inquiétudes liées à l’apparence corporelle et au jugement des autres. Les enfants peuvent regarder les épisodes sur YouTube ou sur le site de la campagne qui comprend également des ressources téléchargeables pour développer l’estime de soi.
Atteindre le cœur des parents
Ces exemples ne sont pas seulement un investissement des marques auprès des enfants.
Les parents prêtent également attention à ce que les marques disent à leurs enfants et comment elles les aident à élever des enfants intelligents, citoyens, confiants en eux. Les marques qui les aident à atteindre cet objectif sont donc susceptibles de gagner la fidélité des parents.