Pourquoi les entreprises marocaines ont-elles si peur de l’innovation ?

Rares sont les entreprises marocaines qui osent, se donnent les moyens d’expérimenter et parviennent à développer des innovations. Eléments de réponse sur cette entrave à la création de valeur...

Si l’innovation ne garantit pas la performance, si elle peut détruire de la valeur en étant mal gérée, il y a en tout cas consensus pour dire que l’absence d’innovation condamne à coup sûr l’entreprise sur le long-terme. Pourtant, rares sont les entreprises marocaines qui osent, se donnent les moyens d’expérimenter et parviennent à développer des innovations. Eléments de réponse sur cette entrave à la création de valeur…

Vous souvenez-vous des voitures sans climatisation ?
Des soirs sans Internet ?
Des loisirs sans jeux électroniques ?
Des accouchements sans péridurale ?

Et pourtant, ce n’est pas si loin…

Sans être accros à l’innovation, force est de constater que, sur des marchés bien souvent saturés ou en passe de le devenir, confrontés à la guerre des prix et aux restructurations, la création intellectuelle et l’innovation constituent la seule perspective de poursuite durable de l’activité et régissent la préférence qui lie les marques et les consommateurs.

Innovation : De quoi parle-t-on ?

La définition de l’innovation varie du contexte dans lequel elle est utilisée. Qu’elle désigne tantôt la nouveauté elle-même (l’objet qui a été inventé) ou le processus global de création (synonyme d’invention), son succès repose sur un ensemble de démarches technologiques, organisationnelles, financières ou encore commerciales qui, intégrées dans un produit, un service ou un procédé, définissent une contribution économique nouvelle.

La technologie est importante, mais l’observation des innovations démontre qu’il faut sortir du modèle classique, centré sur le technologique et surtout le high-tech, alors qu’il est aujourd’hui admis que seules 20% des innovations sont de nature technique et 80% de nature organisationnelle, marketing ou financière.

De même, l’innovation de rupture, celle qui créer l’effet waouh, invente de nouvelles catégories de produits, définit de nouveaux usages et fait appel à de nouveaux critères de performance, ne doit pas faire mésestimer les innovations incrémentales qui se basent sur l’amélioration de l’existant, pour le bénéfice de toutes les parties prenantes.

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Innover, c’est déconstruire

Avec un tissu économique majoritairement composé de TPE et de PME (artisanat, commerce, petite industrie), l’entreprise marocaine fait souvent face à une pression sur ses ressources qui constitue un obstacle au développement de l’innovation :

  • ressources humaines réduites,
  • ressources financières limitées, argumentées par le faible pouvoir d’achat des consommateurs,
  • manque de formation continue,
  • limitation de la communication sur les objectifs et les actions à effectuer…

Parmi elles, les entreprises familiales, avec leur filtre hiérarchique, leur politique de recrutement basée sur  la reproduction des schémas, ne se projettent paradoxalement que peu sur le long-terme, lui préférant le bénéfice immédiat et un respect du statu quo, et se heurtent au refus de prendre les ruptures au sérieux, n’associant en général que peu les employés à la prise de décision.

Les entreprises innovantes, elles, les start-ups en tête, partent d’une page blanche en termes de processes et de culture d’entreprise. Elles échappent au dilemme de l’inventeur : pour innover, il faut parfois deviner le potentiel d’un nouveau marché et aller à l’encontre de tout ce que l’entreprise a construit (les standards de production, les SI…).

Mark Zuckerberg, CEO de Facebook, a très tôt compris que la vitesse importe autant que la taille : « Avancez rapidement, et brisez les obstacles. Si vous ne faites pas de casse, c’est que nous n’avancez pas assez vite. ».

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« Move fast and break things.
Unless you are breaking stuff,
you are not moving fast enough« 

— Mark Zuckerberg

En 2005, l’auteur Jason Jennings résumait dans son ouvrage Think Big, Act Small l’état d’esprit qui ouvre les portes du succès : « It’s not the big that eat the small. It’s the fast that eat the slow. » (« Ce ne sont pas les gros qui mangent les petits. Ce sont les rapides qui mangent les lents »). La clé de la réussite serait donc de maîtriser des cycles d’innovation courts, en faisant preuve d’agilité, en faisant preuve de désobéissance, sans être entravé par des logiques internes product-centric.

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Customer-centric versus Product-centric

Les véritables innovateurs n’oublient pas que l’objectif de l’innovation n’est pas de faire un produit. Quand Nespresso lance sa machine à café, ce n’est pas pour créer une énième cafetière mais pour inventer un nouveau business model, une nouvelle proposition de valeur, qui a pour ambition de délivrer une expérience premium du café à domicile, digne des meilleurs restaurants. Toujours, toujours penser client pour proposer la meilleure innovation.

Est-ce à dire que les entreprises marocaines ne sont pas suffisamment customer-centric ?
Pas suffisamment en contact avec le marché ?
En tout cas, l’obsession de rentabilité et de maintien de l’existant ne saurait être compatible avec l’innovation et la différentiation.

Les entreprises marocaines restent frileuses dans l’intégration des nouveaux comportements de clients et des nouvelles possibilités ouvertes par la banalisation des technologies.

On n’est pas innovant dans un désert d’innovation, et une entreprise ne devient pas innovante du jour au lendemain si les initiatives de célébration, d’encouragement, de financement et de protection des innovateurs restent insuffisantes.

Oser douter pour oser innover

Mais pourquoi une entreprise prendrait-elle le risque de s’aventurer sur ce chemin périlleux ? Car avant qu’elles ne s’intègrent dans l’organisation et les processes existants, et ne deviennent invisibles, les innovations bouleversent et sont susceptibles d’engendrer de la peur, incitant à la prudence.

Cette innovation va-t-elle apporter à mon entreprise un réel bénéfice ?
Est-elle une garantie de valeur ?
Va-t-elle bouleverser nos habitudes ?
Nos processes ?
Comment allons-nous nous y adapter ?

Innover, c’est accepter une part de risque, une part d’échec et le risque, si l’innovation trouve son marché, d’être peut-être copié.

A ce sujet, la réglementation marocaine ne protège pas suffisamment les créateurs. La loi sur la propriété intellectuelle, notamment, est défaillante et décourage les innovateurs, quand ce n’est pas le simple manque d’audace. Seth Godin, ancien directeur marketing de Yahoo et aujourd’hui auteur à succès sur les problématiques de leadership et d’innovation, pointe du doigt la stigmatisation de l’échec qui règne en entreprise et entrave l’innovation qui devrait pourtant cultiver le droit à l’erreur : « Les gens n’ont pas peur de l’échec. Ils ont peur du blâme ». Cette peur conduit à un mécanisme de défense et des stratégiques courts-termistes incompatibles avec la culture de l’expérimentation des innovateurs.

A plusieurs décennies d’intervalles, les dirigeants des entreprises hautement innovantes que sont The Walt Disney Company et Apple ont formulé le même plaidoyer pour plus d’audace : « Apple’s culture of innovation refuses to recognize any limit » (« La culture de l’innovation d’Apple refuse de reconnaître quelque limite que ce soit ») a coutume de dire Tim Cook, tandis que Diane Disney, fille de Walt, déclarait : « To create a culture of innovation, be straight forward. Listen. Simplify. Do things. Build things. Get something going » (« Pour créer une culture de l’innovation, restez concentré. Ecoutez. Simplifiez. Agissez. Construisez. Faites avancer les choses »).

Les entreprises qui n’innovent pas ont bien souvent la conviction (l’arrogance ?) d’avoir l’offre parfaite. Oser, c’est douter et prendre le risque de voir ces convictions et ses réussites passées remises en cause. C’est s’autoriser à écouter les conseils, à challenger ses idées et ses manières de travailler, c’est aussi déminer l’appréhension et l’angoisse qui pourrait paralyser l’initiative et l’audace même.

La meilleure façon d’échouer est peut-être de ne rien tenter.

On n’est pas innovant dans un désert d’innovation

Au-delà du doute, le changement de perception à l’égard de l’innovation passe aussi par un mécanisme d’imitation et d’émulation.

L’innovation doit s’inscrire dans un référentiel commun, qui encourage et valorise les innovateurs. On n’est pas innovant dans un désert d’innovation, et une entreprise (ou un secteur) ne devient pas innovante du jour au lendemain si les initiatives de célébration, d’encouragement, de financement et de protection des innovateurs restent insuffisantes (l’action de l’OMPIC, du CNRST, de l’association R&D Maroc, les coups de projecteur sur des innovations par les Moroccan Awards) ou cantonnées à certains secteurs d’activité (finances, industrie pharmaceutique, industrie, technologie IT) confrontés à des concurrences internationales.

Or, l’innovation s’enrichit de la pratique d’autres entreprises, d’autres secteurs professionnels, selon le principe qu’on peut aller plus loin à plusieurs. Le recours à des processus itératifs et de co-conception est aussi propice au développement de la culture d’entreprise fertile à l’innovation. Avec la co-conception, l’entreprise passe de systèmes top-down linéaires (voire pyramidaux) à des écosystèmes dont tous les participants peuvent apporter quelque chose dans l’affinage du produit, du process, du service.

Peter Drucker, dès 1974, avait bien compris qu’une entreprise, pour imaginer de nouvelles idées, avait besoin de voir ses énergies libérées : « Il est impossible pour une même organisation de gérer l’existant et de créer de la nouveauté ». Il surenchérissait en expliquant que « les grandes idées ont besoin de grands espaces », d’investissements financiers, de temps disponibles et de ressources dédiées. Le recours aux processus itératifs, par expérimentations et essais-erreurs, lui, nous enseigne que l’innovation se construit avant tout par micro-innovations.

Innover, ce n’est pas sauter dans le vide mais monter une succession de petites marches. C’est accepter d’essayer, essayer, réessayer encore, et recommencer, en mettant à profit les méthodes de lean start-up, basées non seulement sur l’expérimentation mais aussi sur les retours clients, garanties de passer du plan A… au plan qui va marcher. De son côté, Seth Godin insiste sur la nécessité de cultiver la reconnaissance et la récompense à l’égard des innovateurs, et de favoriser l’interdisciplinarité des groupes de réflexion, comme le promeut aussi le Design Thinking.

Favoriser l’intrapreneuriat pour favoriser l’innovation

L’innovation doit se développer en dehors des structures et des processes existants de l’entreprise. C’est ainsi qu’on a vu monter en puissance la notion d’intrepreneuriat qui recommande d’encourager la créativité non seulement en associant davantage les employés à la prise de décision, mais aussi en mettant en place les moyens leur permettant d’exprimer leurs idées par la mise en place de boîtes à idées ou la création d’une unité spéciale et permanente chargée d’assurer le suivi et l’opérationnalisation des propositions.

L’intrapreneur désigne ainsi le membre d’une entreprise qui, en accord avec elle, et tout en restant salarié, va prendre possession d’un projet qu’il va être chargé de réaliser, transformant ainsi une idée en activité durable au sein de l’organisation. Les intrapreneurs ont ainsi un pied dans l’entreprise (in-the-box) et un pied dehors, afin d’impulser une dynamique et un état d’esprit essentiels pour développer de nouveaux business models.

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Mahja Nait Barka
Mahja Nait Barka

Diplômée en Management Stratégique, formée à l’innovation et à la créativité, j’accompagne depuis plus de 15 ans les entreprises, en Europe et en Afrique, pour développer des plateformes de marque performantes : de l’audit de l’identité à la clarification du positionnement en passant par la construction des fondamentaux de la marque (création de la plateforme de marque, définition des éléments de langage, stratégie de Personal Branding pour les dirigeants…).

Objectif : créer des marques fortes, désirables au-delà du produit.

J’aide aussi les marques à créer des expériences positives et intuitives autour de leurs services et passer à la vitesse supérieure dans leur trajectoire digitale. Mon expertise est transversale et orientée-business. Elle me permet de m’adapter à toutes les réalités de l’entreprise et d’embarquer des équipes souvent multidisciplinaires autour du branding, de l’accélération digitale et de l’expérience utilisateur, dans des projets complexes à fortes contraintes.

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