C’est l’histoire d’une utopie, d’un mythe urbain qui sévit au sein de toutes les directions marketing et digital. Une croyance populaire selon laquelle, en ligne, moins de clics rendraient les utilisateurs plus heureux et que plus de trois clics généreraient frustration, insatisfaction et damnation pour les annonceurs. Retour sur ce dogme de l’utilisabilité qui terrorise les professionnels de l’ergonomie.
Qu’est-ce que la règle des trois clics ?
La règle des trois clics est un concept simple : elle stipule qu’aucune page de votre site web ne devrait être à plus de trois clics de portée de toute autre page. Le nombre de clics nécessaires pour atteindre une information souhaitée affecterait directement la satisfaction et la conversion de vos utilisateurs, et l’engagement de concevoir un plan de site où toutes les pages se trouveraient à trois clics l’une de l’autre serait gage d’une plus grande utilisabilité.
Mais pourquoi trois clics, me direz-vous ? Pourquoi pas quatre ? Pourquoi pas un ? Imaginez un peu : le clic unique, le graal… L’utilisabilité poussée à son paroxysme, l’objectif final à portée de clic, le clic comme mesure de la facilité d’utilisation.
Conceptualisé à l’époque où le Web était relativement nouveau, où nous étions peu à être connectés et où il y avait très peu de conventions ou de pratiques exemplaires disponibles pour nous aider à créer de bons sites, cette règle avait un sens.
Le comptage des clics est-il destiné à mourir ?
Mais au fur et à mesure que le web prenait de l’importance, la notion de convivialité montait en puissance. Avec elle, s’élevaient des voix discordantes convaincues que, pour peu que vous ne fassiez pas réfléchir l’utilisateur au nombre de clics, il ne verrait aucun inconvénient à ce qu’il y en ait quelques-uns de plus, et qu’il ne prendrait pas nécessairement ses jambes à son cou s’il ne parvenait pas à trouver les informations recherchées en trois clics.
Dès 2003, Joshua Porter expliquait dans un article retentissant qui aurait dû tuer ce dogme que la règle des trois clics était « a misdirected but well-intentioned rule » (une règle bien intentionnée mais mal orientée). « La règle des trois clics ne se concentre pas sur le vrai problème. Le nombre de clics n’est pas ce qui est important aux utilisateurs, mais s’ils réussissent ou non à trouver ce qu’ils cherchent ». Le nombre de clics n’affecterait donc ni la réalisation de la tâche, ni la satisfaction de l’utilisateur.
Ce qui ne veut pas dire, réciproquement, que l’ajout de clics supplémentaires améliore nécessairement la convivialité et l’expérience utilisateur.
Ce qui compte vraiment ici, c’est la facilité de navigation.
Quand Steve Krug, le pape de l’utilisabilité, baptise son livre sur l’ergonomie web « Don’t make me think » (« Ne me faites pas réfléchir »), c’est de cela qu’il parle.
Quand tous les clics ne sont pas identiques
Supprimer ou rajouter un clic dans un parcours utilisateur qui en compte déjà quatre ne signifie donc pas nécessairement que le parcours en est facilité. Vous pourriez juste rendre les trois autres clics plus difficiles et ouvrir des portes de sortie à vos utilisateurs.
Supposition : vous souhaitez commander une assurance voyage avant votre départ en vacances. Une fois sur la page d’accueil de votre assureur habituel, vous avez le choix dans le menu principal entre les assurances pour les particuliers, et ceux pour les entreprises. Ce premier clic ne vous demande aucun effort, il s’agit d’un clic facile, ludique, qui ne génère aucune frustration car la décision est simple. Aucun autre site ne me permettrait d’opérer ce choix en moins d’étapes.
Renseigner le formulaire de pré-commande de mon assurance voyage se révèle, par la suite, une autre histoire : compléter une longue série de champs complexes, les uns sous les autres, qui exige d’avoir sous la main son billet d’avion, son passeport et son visa prend rapidement des allures de parcours du combattant. Tant de choses à regarder et à renseigner et, au moment de valider, le formulaire qui se réinitialise car j’ai perdu trop de temps. En définitive, une mauvaise expérience utilisateur, en dépit d’être simplement à un clic de mon besoin client.
Réciproquement, la prise en main des sites complexes et riches en contenus et en niveaux d’arborescence s’est aujourd’hui vulgarisée. Des sites e-commerce comme Amazon ou Fnac.fr révèlent la capacité toujours plus grande des utilisateurs à trouver les produits, peu importe la profondeur du site. Arborescence descendante, filtres de recherche… Garder certaines tâches simples pour les utilisateurs implique parfois qu’ils aient à cliquer plus souvent peut-être, mais avec zéro stress.
Arrêtez de compter les clics en tant que mesure de la facilité d’utilisation
On aurait pu imaginer qu’après l’article de Joshua Porter et les travaux sur l’utilisabilité de Nielsen, le comptage des clics ne soit plus à la mode.
Malheureusement non.
Ce n’est pas le cas et le nombre de clics hante les mesures de la facilité d’utilisation. Les professionnels de l’ergonomie web peinent à faire accepter des recommandations qui ajoutent plus de clics à des clients hantés par le « mais c’est un clic supplémentaire ». Prisonniers de ce dogme, de nombreux sites sont incapables, non seulement de prioriser et de hiérarchiser l’information, mais surtout de concevoir des parcours utilisateurs plaisants, proposent une expérience utilisateur détestable.
Et ceci, en dépit d’être seulement à trois clics de l’information.