Vous avez remarqué ? Ou peut-être pas justement… Une police de caractères sans empattement. Du noir, avec beaucoup d’espace blanc, bien propre et bien lisible. Pas d’insigne, surtout pas de couleurs, pas de relief. En un mot : fade. Bienvenue dans l’ère des logos aseptisés. Bienvenue dans le monde du blanding.
La marque est ce qui distingue les entreprises les unes des autres. Elle représente une personnalité et des valeurs. Nous reconnaissons une entreprise par sa marque. Le processus par lequel une entreprise créé une marque est laborieux, chronophage et consiste à révéler l’essence / l’essentiel.
L’essence de la marque
Les marques à l’essence claire sont celles dont on se souvient :
- Coca Cola : le bonheur
- BMW : le plaisir de conduire
- Volvo : la sécurité
- Adidas : l’endurance
- L’Oréal : la confiance en soi
- Red Bull : le dépassement de soi
- Apple : la technologie élégante et intuitive
- Walt Disney : la magie et le rêve rendus possibles
La marque fonctionne donc comme une succession d’associations mentales, qui se construisent au fil du temps à travers toutes les expériences du consommateur avec la marque. L’essence de marque s’incarne aussi dans tout le patrimoine visuel d’une marque : sa palette de couleurs, ses typographies, son style guide, sa bibliothèque d’éléments graphiques… et surtout son logo.
Un logo n’est pas une marque mais un logo est la signature de l’entreprise : son design unique doit dès lors incarner sa personnalité, l’essence et les caractéristiques de la marque et la reconnaissance du logo est bien souvent la première étape dans la construction de votre marque.
Objectif : Zéro prise de risque
Je suis donc un peu déroutée de voir monter en puissance, depuis quelques années, une tendance logo diamétralement opposée à cette recherche d’unicité, de différentiation. Cette tendance, c’est le blanding.
Dérivé de « bland » (fade, sans caractère, sans goût), le blanding, par opposition au branding, désigne les récentes initiatives des marques en termes de création ou de refonte de logos. On a ainsi vu émerger des logos qui, non seulement négligeaient ou modifiaient l’identité immédiatement reconnaissable de la marque, mais adhéraient aussi à cette tendance fade caractérisée par un minimalisme à outrance.
Les premières entreprises à adhérer à cette tendance minimalisto-fade étaient technologiques / digitales : Google, Apple, Spotify, Airbnb, uber…
Elles ont ensuite été suivies par les marques de luxe.
Le remaniement du logo de Burberry, par le directeur artistique britannique Peter Saville, a beaucoup fait parler de lui : un style neutre qui élimine tous les éléments décoratifs qui, dans le cas de Burberry, évoquaient le style, l’élégance et l’héritage. Saville a déclaré qu’il avait essayé de donner vie à un « utilitaire moderne » pour un logo qui puisse être aussi bien appliqué sur un chemiser que sur un trench en gabardine classique.
Mais Burberry a emboîté le pas de toutes les marques de luxe (Balmain, Saint Laurent, Chanel…) qui offrent toutes aujourd’hui la même image de propreté, de simplicité, de minimalisme. Mais là où il y avait auparavant des marques différentes, ne subsistent que des clones…
Et ce n’est pas le nouveau logo de Facebook, dévoilé le 5 novembre dernier, qui va changer la donne…
La frugalité à la mode
Le blanding ne se développe pas uniquement sur le terrain de la typographie, simplifiée à outrance. Après tout, la première différentiation se joue sur le terrain des formes, des couleurs… Mastercard a choisi récemment d’élaguer son logo, ne conservant que ses deux disques juxtaposés iconiques, aux couleurs vives.
Un choix controversé, mais parfaitement logique.
Objectif : être parfaitement lisible et adapté à une déclinaison omnichannel sur tous les dispositifs de communication (réseaux sociaux, sites Web, écrans de téléphone, télévision…). Une normalisation par ailleurs censée plaire au plus grand nombre, aux utilisateurs en quête d’interfaces simples et de chargements rapides.
Le blanding, c’est si mauvais que ça ?
Alors, quel est le problème avec le blanding si ces entreprises se portent si bien ?
C’est qu’il s’agit d’une tendance « du moment », le choix de la facilité devenu tellement omniprésent qu’il en est presque devenu générique. Or, si suivre les tendances peut a priori paraître une bonne idée, on ne devrait jamais avoir à dire d’un logo qu’il est dans l’air du temps : l’espérance de vie des tendances est courte et vous pourriez bien être out dans un futur proche.
Un logo doit donc être au maximum intemporel. Il doit représenter votre entreprise, le produit ou le service que vous offrez, et non une tendance. Certains des meilleurs logos jamais conçus se distinguent exactement pour ces raisons : au fil des ans, ils ont été légèrement adaptés, mais, dans leur essence, ils sont restés intemporels et ont su conserver leur ingrédient secret, l’élément de surprise qui fait leur identité.
Le blanding est d’autant plus problématique quand s’engagent dans cette brèche des start-ups, la considérant comme une formule à copier, garantie de succès. Au fil des années, les géants du luxe et des technologies ont progressivement simplifié leurs logos. OK. Mais ces entreprises ont déjà fait leurs preuves. Elles SONT leurs produits, elles restent reconnaissables, quel que soit le logo. De leur côté, les start-ups ne peuvent pas se permettre cet effacement derrière le minimalisme, voire cette invisibilité que confère le blanding. Comment une start-up pourrait-elle gagner la guerre de la visibilité en faisant le choix du blanding ?
Souvenez-vous combien le logo de Google a évolué : il n’a pas toujours été le mot-symbole qu’il est devenu. Il a mûri, perdu ses accessoires (sa profondeur 3D, le point d’exclamation) et s’est épuré pour devenir une meilleure représentation de la société au fil du temps, à mesure que Google grandissait lui-même.
Je ne préconise pas un retour à des logos illustrés et farfelus, mais imaginez un peu si cette tendance était amenée à se généraliser…
Ne pensez-vous pas que les marques devraient faire preuve d’un peu plus d’expressivité ? Les stratégies de marque, notamment l’omnichannel, devrait rendre les entreprises plus créatives, pas moins.
En l’absence de logos forts, les marques devront tout au moins affirmer des choix radicaux en matière d’expérience de marque. Après tout, l’émotion est clé : dans son ouvrage Thinking Fast and Slow, le Prix Nobel Daniel Kahneman estime que 95% des décisions humaines se basent sur l’instinct et l’intuition. Toucher, ouïe, odorat… certaines marques développent des stratégies de marketing sensoriel pour conquérir et fidéliser.
Et parce que toute tendance, en l’occurrence ici au minimalisme et à la normalisation, contient toujours en germe sa propre contre-tendance, Zara vient, à contre-courant, de dévoiler son nouveau logo : certes, un peu plus difficile à lire, mais tout en sérif, qui évoque l’héritage et probablement l’ambition de la marque espagnole de se tailler une place au milieu des marques de luxe.