Casablanca. Jeudi 19 mars, 20 heures. Les autorités viennent d’annoncer l’état d’urgence sanitaire et le confinement dès le lendemain. Dans les locaux d’une entreprise de services qui compte des centaines de collaborateurs répartis sur plusieurs sites au Maroc, une réunion extraordinaire du Comité de direction regroupe tous les cadres dirigeants de l’entreprise dont certains ont été rappelés d’urgence depuis leur domicile.
Après le passage en revue des différents scénarios et hypothèses, et l’arrêt d’un plan de crise, le Directeur général prend la parole et lance à son équipe dirigeante : « Eh bien il ne nous reste plus qu’à communiquer tout cela à nos équipes ! ».
Problème : pas de système efficace et organisé de production et de diffusion de l’information en temps réel. L’intranet est en refonte et peu consulté, sans compter qu’une partie de la population des collaborateurs n’y a pas accès. Certains n’ont même pas d’adresse de messagerie électronique. Pas d’application mobile interne installée sur les téléphones professionnels non plus. Pas de radio interne non plus.
Si les managers intermédiaires sont en général efficaces pour cascader l’information, actuellement ils sont dispersés, et le temps que l’information leur arrive, elle sera peut-être obsolète. Et puis, lorsqu’ils parviennent à diffuser l’information à temps, chacun communique à sa manière en passant parfois l’information à travers ses filtres personnels.
Enfin, la fonction elle-même n’est pas formalisée ni occupée par une personne ou une équipe pour produire la tonne de messages sensibles à faire circuler en toute urgence, à tout le monde, et en même temps. La crise COVID se double alors d’une crise de la communication interne.
Une fonction trop souvent négligée
Ce scénario s’est répandu au sein d’organisations qui ont tardé à accorder de l’importance à la fonction communication interne. Elles ont dû improviser (avec génie parfois, mais souvent dans l’approximation) des canaux et des pratiques non maîtrisés. Une improvisation qui induit forcément un lot de loupés et de frustrations de toutes sortes : des collaborateurs qui n’ont pas été informés à temps des mesures d’hygiène et de précaution décidées par l’entreprise, qui sont alarmés du devenir de leur travail, qui ne savent pas quoi répondre à leurs clients, ne connaissent rien des principes du télétravail…
Ces entreprises ont hélas dû payer le prix du délaissement d’une fonction qui a souvent été promenée entre la direction de la communication, des ressources humaines, parfois la direction générale, ou même la direction informatique. Une fonction souvent partagée (avec les RH, la communication externe, la RSE…), affublée d’un budget modeste et d’outils sommaires, négligée par le top management qui y voyait au mieux un système de propagande utile, au pire une source de problèmes.
Et pourtant, comme l’indiquait récemment une étude du cabinet Edelman : l’employeur est la première source d’information pour un collaborateur, après les autorités…
Au sein des organisations qui confèrent à la fonction un rôle significatif à travers une vision stratégique (campagnes, dispositif multicanal, équipe pluridisciplinaire…), il a été possible de réaliser dans des temps record de véritables prouesses en matière de communication de crise du COVID-19, dans son versant interne.
Des messages et des prises de parole audio, vidéo et écrits des dirigeants sont diffusés massivement sur les canaux de communication interne. Des managers intermédiaires sont formés et outillés pour expliquer à leur équipe les décisions, des informations quotidiennes sur l’évolution de la situation. Et des contenus encourageants et reconnaissants envers les populations de collaborateurs en télétravail ou sur le terrain sont aussi largement partagés, fluidifiant ainsi la coordination et la motricité des efforts collectifs.
Crise inédite et nouveaux enjeux
Cette crise inédite révèle aujourd’hui le rôle crucial que la communication interne (et son corollaire, la communication managériale) joue dans le maintien du lien social, la production et la diffusion de l’information, l’engagement et la mobilisation des collaborateurs, et bien sûr, le renforcement de la culture d’entreprise et de l’efficacité opérationnelle.
Très sollicitée, elle peine désormais à répondre aux nombreux enjeux soulevés par la crise : un énorme besoin d’information sur la continuité de l’activité, le business, la stratégie d’adaptation de l’entreprise ; un besoin tout aussi important d’informations sur les mesures liées à la santé, à la sécurité et au bien-être des salariés ; et enfin, un besoin fondamental du collaborateur d’une relation empathique, bienveillante, rassurante et positive avec le management. La communication interne a rarement été autant considérée comme Business Partner stratégique et transverse !
Com interne, une alliée pour tous
La communication interne est un moyen formidable de construire l’ensemble. L’ensemble organisationnel et l’ensemble humain. Loin de son ancienne image de « voix de son maître », elle est aujourd’hui celle qui pose des questions, écoute le corps social, dit ce qu’elle sait, et le dit quand elle ne sait pas. Elle reconnaît le travail des uns et des autres, raconte à tous les succès individuels et collectifs.
Elle dit aussi l’histoire de l’entreprise, sa culture, ses marques, ses métiers, ses clients, ses hommes et ses femmes. En lui donnant son humanité, en l’habillant de technologie, en adoptant les codes des médias, elle devient une alliée forte des dirigeants d’entreprise autant que des collaborateurs.
A la lumière des premiers enseignements de cette crise, nul doute que l’avenir, à juste titre, va jouer en faveur de la communication interne. Celle-ci aura alors de nouveaux enjeux auxquels elle devra faire face. Éviter l’infobésité et la saturation des messages, ne pas tomber dans l’excès de positivité forcément suspect, ne pas disparaître du fait d’une prise de parole désordonnée de la part de toutes les entités de l’entreprise, ne pas savoir assumer et expliquer les décisions difficiles qui peuvent toucher des entreprises fortement frappées économiquement… Autant de challenges à la hauteur de son nouveau rôle stratégique.
Le déconfinement offre encore une chance aux organisations de se mettre à jour car les besoins restent fondamentalement les mêmes : informer les collaborateurs de l’actualité et de la vie de l’entreprise, les fédérer autour d’une culture et d’une projet communs et les engager pour la réussite individuelle et collective. De parent pauvre, la communication interne est en passe de devenir une pièce maîtresse de la communication des organisations.