J’ai rencontré Julien il y a quelques semaines. M’intéressant moi-même à la transformation digitale, j’ai souhaité l’interviewer pour en savoir un peu plus sur l‘heureux fondateur et CEO de Siway, agence de transformation digitale internationale. Julien Stephan a fondé en 2008 à Casablanca son agence de transformation digitale Siway. Il nous raconte son parcours plein d’embûches, le choix du Maroc comme foyer pour son entreprise et nous explique quels sont les enjeux de la transformation numérique et la nécessité pour les entreprises marocaines de les appréhender.
Bonjour Julien. Vous êtes CEO de Siway, agence de transformation digitale. Pouvez-vous vous présenter, nous parler de votre parcours et comment en êtes vous venu à créer Siway ?
Bonjour Sanaa. J’ai fait des études variées puisque j’ai commencé par des études en informatique, puis j’ai étudié la communication et les stratégies publicitaires, et enfin un MBA en business international. J’ai fondé aussi plusieurs sociétés, en France et au Maroc, avec moins de réussite qu’aujourd’hui, mais toujours avec la même énergie. Je suis expert en eCommerce, urbanisme d’entreprise et transformation digitale d’entreprises ou de groupes.
Siway est une agence de transformation digitale. Je l’ai fondée début 2008 à Casablanca, avec pour ambition de guider, accompagner et soutenir au jour le jour les dirigeants voulant utiliser le digital pour améliorer la relation de leur entreprise avec leurs prospects, clients, mais aussi fournisseurs, financiers et stakeholders dans leur ensemble. J’ai dès le premier jour ciblé l’export. Dans la prestation de service, il n’y a pas de frontières, et plusieurs typologies de pays sont intéressantes pour nous. Les pays les plus en avance comme les USA, le Japon ou la Suède sont bien équipés, exigeants et ont des moyens importants. Ils suivent bien les dossiers, et veulent que ça avance vite. Collaborer avec eux nous a forcé à travailler toujours plus dur dans le strict respect des délais, des normes de qualité très élevées, et à utiliser les technologies les plus récentes. Ainsi, quand ces technologies se répandent dans les autres pays, nous avons déjà un coup d’avance et, de l’expérience et des références sur ces sujets.
Nous travaillons aussi sur des marchés plus émergents, comme la Turquie, le Bénin ou le Sénégal. En étant basé au Maroc et avec un staff ultra majoritairement marocain, nous sommes évidemment bien placés pour appréhender ces marchés et établir un pont dans ce que j’appelle le saut technologique. Si une entreprise n’est pas du tout équipée au Sénégal, je défend le fait qu’elle ne doit pas chercher à copier les modes d’évolution des groupes équipés sur des marchés plus matures, mais regarder pourquoi ne pas directement déployer les outils les plus à la pointe. La révolution du Cloud et des 3 / 4G ainsi que l’internet satellitaire peut permettre de déployer un système de dernière génération à peu près n’importe où, et souvent moins élevé que pour un système moins évolué. C’est d’ailleurs cette idée qui nous a poussé à investir autant dans le développement de notre partenariat avec Salesforce (leader mondial du CRM & Cloud applicatif). En outre, adressons bien sûr les marchés intermédiaires, avec du Cloud, de la BI, du CRM, et bien sur du eCommerce et de la transformation digitale.
Enfin, nous intervenons dans des secteurs variés, car notre logique est de mettre une surcouche « client » et une circulation d’information intelligente et ultra-sécurisée quel que soit le métier. Cela dit nous avons des références prestigieuses, particulièrement dans le tourisme et l’hôtellerie, la Gestion d’actifs, l’énergie et la pharmaceutique.
Vous avez du connaitre des hauts et des bas en créant Siway… racontez-nous un peu votre aventure entrepreneuriale ?
J’avais déjà monté une entreprise de communication digitale en 2001 à Paris. Les débuts ont été festifs, ça marchait super bien. Nous étions parmi les premiers à faire de la communication en flash pour les entreprises. Puis j’ai perdu mon plus gros client, je n’avais pas bien anticipé les charges, bref, en quelques mois au bout de deux ans j’ai du fermer. J’ai réalisé qu’être un excellent technicien et communicant ne suffiraient encore pas, et donc je suis allé faire un MBA à New York, pour apprendre les affaires, la gestion d’entreprise, la finance.
Quand je suis rentré à Paris j’ai peaufiné tout cela en travaillant 3 ans en tant qu’eCommerce Manager pour une chaîne américaine dont je coordonnais les actions pour l’Europe. J’ai appris beaucoup d’aspects fondamentaux : le respect des budgets, délais, qualité, mais aussi la politique interne, les différences de juridictions internationales et au sein même de l’Europe. Quand je me suis senti prêt, j’ai fait le tour des pays qui pourraient être de bonnes bases de lancement pour un groupe international tel que j’envisageai de le fonder. Je suis allé en Roumanie qui avait le vent en poupe à l’époque, au Brésil, en Russie, dans plusieurs pays d’Afrique. Et finalement j’ai choisi le Maroc. Je suis arrivé avec quelques clients internationaux pour amorcer l’activité, puis j’ai vite tenté de développer le marché national pour solidifier l’implantation.
Autant j’ai eu peu de problèmes avec les ressources humaines, la qualité des formations, autant j’ai eu de gros problèmes pour être payé par certains clients marocains. Je ne connaissais pas bien ce type de problème, ça n’existe quasiment pas ni en France, ni aux USA, ni dans les autres marchés que je connaissais. J’ai découvert qu’on pouvait avoir un devis signé, livrer la prestation, et ne pas être payé. J’appelais sans cesse, je me déplaçais mais rien n’y faisait. J’avais beaucoup signé au Maroc durant les premières années, et c’est vrai que de voir autant d’impayés, voire de refus de paiements non justifié étaient totalement improbables pour moi. Cela a menacé gravement le business plan. J’ai alors arrêté les frais et stoppé les travaux pour les clients problématiques. Je me suis concentré sur l’international et sur les ‘bons payeurs’. Peu importe le niveau de marge, j’ai petit à petit arrêté de travailler pour ceux qui ne payent pas. Après une transition difficile, cette manière de faire à tout changé, et la croissance et la sérénité sont revenues dès 2011. Depuis nous avançons avec une croissance solide et une confiance totale en l’avenir puisque nos Accounts payables sont quasi garantis par la fiabilité de nos clients.
Quel est votre plus beau souvenir dans cette aventure et votre plus belle rencontre ?
Ma femme est ma plus belle rencontre. Je l’ai connue durant ma période entrepreneuriale. Elle m’a soutenu et aidé dans les moments les plus difficiles dont je viens de parler, et sur cette même période elle m’a donné deux filles magnifiques. Être entrepreneur c’est embarquer tout son foyer dans l’aventure. Si le conjoint et le foyer n’adhèrent pas, tout peut devenir beaucoup plus difficile. C’est de toutes les façons difficile même avec du soutien, mais pouvoir discuter, avoir un retour extérieur et désintéressé, se sentir soutenu par ceux qu’on aime donne une force et un enthousiasme particuliers face à la quantité de travail et l’adversité. Je lui rends hommage, et j’en profite pour saluer tous les conjoints d’entrepreneurs ou dirigeants, parfois dans l’ombre médiatique et pourtant si fondamentaux aux trajectoires des leaders.
La transformation digitale représente un enjeu important pour les entreprises. Qu’en est-il au Maroc ? Est-ce que les entreprises marocaines sont-elles consciente de ceci ? Et que répondez-vous aux entreprises qui sont sceptiques ?
Au Maroc, beaucoup plus qu’en Europe ou en Amérique du Nord, la transformation numérique est une opportunité fantastique. Notamment par ce qu’on appelle le « saut technologique ». Les entreprises marocaines et africaines étaient moins bien équipées au global en systèmes d’information performants et en réseaux de télécommunication physique de type ADSL ou fibre. Rien que début 2008, quand j’ai posé mes bagages au Maroc pour fonder Siway, le gap entre les entreprises du nord de l’Europe ou nord américaines paraissait impossible à rattraper, honnêtement. Trop d’investissements, de formation, d’étapes. Qu’en est-il en 2015 ? Avec la 4G, plus besoin d’ADSL. Avec le Cloud, plus besoin d’installation logicielle, ou presque pas, uniquement des connecteurs à développer. Il faut savoir qu’en Cloud Salesforce par exemple, la plus grosse société américaine est sur la même version du logiciel que la PME marocaine ou Sénégalaise. Les positions géographique, géopolitique et économique du Maroc prennent alors un nouvel éclairage.
Le Maroc possède des ressources extrêmement bien formées, qui mettent souvent leurs compétences au service des plus grands groupes internationaux pour leurs marchés. Mais je suis convaincu que cela va évoluer. Le marché national et le continent africain vont pouvoir, grâces au saut technologique, occuper des marchés qui leurs étaient totalement inaccessibles et lancer des business models impensables il y a de ça à peine 3 ans. Je pense que ceux qui ne migrent pas pourront survivre un moment, c’est sûr. Mais on verra dans les années qui viennent, beaucoup de belles aventures de sociétés marocaines connaissant des succès fulgurants et durables.
Quels messages ou conseils aimeriez-vous donner aux jeunes entrepreneurs marocains ?
Ne comptez que sur vous, ne comptez que sur votre travail. Sachez identifier vos points faibles et les combler par des associations où les maîtres mots doivent être honnêteté et travail. Et ne pensez pas qu’au marché marocain, le monde est vaste, l’Afrique est le continent avec le plus de pays, et l’Europe est habituée à acheter des produits et services marocains au jour le jour. Diversifiez vos sources de revenus. Quel que soit votre niveau social de départ, c’est possible. Ce sera dur, mais sachez que moi-même j’ai monté ma première société en 2001, et j’ai échoué une première fois, j’ai raté beaucoup, j’ai eu beaucoup d’impayés, j’ai eu des problèmes plus que je ne pourrai me rappeler. Mais je n’ai jamais dit que c’était la faute d’un autre ou du train qu’était parti, et je me suis toujours remis au travail en fermant la bouche, avec le souhait de faire mieux la prochaine fois. On a l’impression que ça n’avance pas, mais si on fait bien son travail et qu’on choisi bien ses clients, après beaucoup d’efforts, les portes s’ouvrent une après l’autre.
C’est bien la première fois que je vois un entrepreneur parler publiquement de ce problème d’impayés. J’en ai moi-même souffert quand j’ai créé mon magazine, il y a une dizaine d’années… Et c’est pour cela que je répugne à me lancer dans une entreprise B to B.