En 2010, quand j’ai rejoint le monde du digital, je sortais de 10 mois en montagne, dans un endroit où il n’y avait même pas de réseau. J’avais été tellement isolé du monde que j’avais décidé d’y être aussi connecté que possible.
5 ans, 3 agences et une demi-douzaine d’intitulés de poste plus tard, je boucle un chapitre de ma carrière, le premier. Durant toutes ces années, j’ai eu la chance de travailler avec des institutions prestigieuses et d’autres plutôt pernicieuses, j’ai participé à certaines des plus belles aventures du webmarketing marocain et vu grandir un secteur qui quand je l’avais rejoint, était encore constitué de boîtes faites de trois à quatre employés, quelques stagiaires et tout le monde qui faisait tout.
C’était l’époque d’Image Map, du FBML, des pages Facebook sans cover, des sites web sous Joomla et du mobile à peine naissant. Il y a 5 ans, nous étions un million de marocains sur Facebook, un demi-million avec des smartphones qui aujourd’hui passeraient pour des cartes perforées comparés à leurs petits frères et moins de 10 millions sur tout le web.
Les annonceurs demandaient l’impossible, croyaient que les développeurs étaient les Merlin du HTML, qu’Internet existait dans un univers où les lois de la réalité n’avaient plus de prise et cerise sur le gâteau que tout était tout de suite bon marché. Internet, c’était un peu le soldeur de la communication de marque. Enfin, ça, ça n’a pas vraiment changé.
Pourtant, ce serait trop facile de blâmer l’annonceur d’un défaut structurel à un secteur. J’ai assisté à suffisamment de réunions pour le dire sans douter, c’est de notre faute. Nous, prestataires, soi-disant spécialistes qui emportés par la ferveur commerciale, avons vendu tout et n’importe quoi, en masse, sans cligner des yeux. On a beau vouloir être la voix de la raison et il me revient de dire que plusieurs de mes patrons l’ont été, la tâche s’avère difficile. La masse d’agences de comptoir de café –Deux gars, un mac et deux cafés allongés dans un café Wi-Fi– ont longtemps traîné tout le monde dans une longue partie de poker menteur où les marchés s’attribuaient au plus promettant.
Heureusement, je garde aussi de ma carrière, certaines initiatives des plus innovatrices du milieu, des expérimentations audacieuses et des visions très différentes de ce que représente le webmarketing. Oui, j’ai beaucoup appris mais alors que ce secteur atteint sa maturité, il me semble que les choses s’arrêtent là pour le web marocain.
La logique de start-up qui animait le secteur n’est plus des nôtres quoi que puissent faire croire les différents événements qui s’en font les soutiens. Aujourd’hui, on crée une agence de webmarketing comme on ouvre une usine de confection, très souvent pour vendre de la minute. Les logiques économiques ont changé et certaines des plus grandes agences du milieu ont mis la clé sous la porte tandis que les autres sont pour la plupart dans une lutte de fin de mois permanente.
L’erreur semble stratégique. Les agences, encouragées par l’explosion des budgets de développement et d’achat d’espace, ont rarement mis en valeur leur apport en conseil, se résignant même face à certains annonceurs apprêtés au métier, à des rôles d’exécution. C’est ainsi que plusieurs agences marocaines ont planté les graines de leur mort annoncée. Aujourd’hui, alors que les dynamiques du métier s’orientent vers plus d’accompagnement, ce sont les agences qui ont fait le pari de la communication digitale et non du webmarketing –la nuance est subtile mais importante– qui sortent du lot.
Le web se dirige vers plus de brand content, de construction d’image et pourtant, les professionnels du digital déclinent encore le travail de leurs confrères de l’offline. Car eux, sont consultants, créatifs et originaux. Pour leur part, les prestataires digitaux se baladent avec « exécutant » sur leur front dans leur majorité.
C’est ainsi que nous nous sommes faits Hara-kiri. Nous avons vendu des sites, des forfaits Community Management, des dispositifs, des bannières, des jeux-concours, du référencement… Rarement de la réflexion.
Cependant, mon départ n’est pas un constat d’échec. Pour ma personne ou pour le secteur. Le secteur digital marocain a encore de beaux jours devant lui et beaucoup d’argent est en jeu. Mon départ, c’est la désillusion d’un gars qui voulait faire de la communication digitale et a trop souvent fait du webmarketing.
Je m’en vais donc faire de la communication et garderai un œil sur ce canal qui me passionne toujours autant. Je ne peux en dire autant du secteur car il me semble que bientôt un bain de sang, fait de faillites et de licenciements au gros, réduira le circuit digital indépendant à peau de chagrin. Pour en avoir longtemps fait partie, cela me briserait le cœur d’y assister.
Alors, au revoir 2.0. Merci pour les nuits blanches, les joies des validations, les déceptions des retours, les paniques de sites hors-ligne, les posts qui buzzent, ceux qu’on oublie de sortir, les coquilles dans les textes, les paliers de fans atteints, les pages 404 et les mises en ligne de dernière minute. Merci aux collègues, aux prestataires, aux clients et aux patrons. Pour les moments de doute, les paris pris ensemble, les gages de foi, les remises en question, les appels d’engueulade et ceux de félicitations. Merci aussi pour les milliers de dirhams claqués en gadgets, PC, ADSL et 3G. De toute manière, c’est vous qui payiez.
Je m’en vais donc, le cœur plein mais triste car si rien ne change sur Internet au Maroc, beaucoup d’acteurs majeurs sont en train de se faire Hara-Kiri.
Sayonara.